Au milieu du mois de mai dernier, l’Europe centrale, et en particulier les Balkans, ont été touchés par de graves intempéries enregistrées comme les pires connues par la zone depuis plus de 120 ans. Ce sont ainsi la République Tchèque, l’est de l’Allemagne et de l’Autriche, la Roumanie, la Pologne, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine ou encore la Slovénie qui on vu s’abattre une véritable catastrophe naturelle. On observait alors des écarts de plus de trente degrés entre le nord et le sud de la perturbation, provoquant de graves chutes de grêle, des pluies diluviennes et autres tornades destructrices. Il est tombé l'équivalent de trois mois de pluie en moins d'une semaine...
Au total, quarante-sept personnes sont mortes, plus de un million ont été touchées et cent mille évacuées. La Serbie avait décrété trois jours de deuil national et la Bosnie observait un jour de deuil le mardi 20 mai. Seulement, après la peine c’est la colère qui monte chez les victimes, en particulier dans les pays des Balkans. Pour beaucoup d’entre eux, cette catastrophe ne serait pas seulement naturelle.
Le tournant économique des années 1990 dans les Balkans en cause
En effet, le bilan humain et matériel aurait été largement alourdi par d’importants déficits et coupes budgétaires appliqués par les gouvernements dans le secteur sanitaire et des infrastructures publiques. A la fin des années 1980, les sociétés de construction hydrauliques et leur entretien - permettant de prévenir d’éventuelles crues - étaient en plein essor. Les structures publiques comme les routes, les berges ou les canaux étaient également bien entretenues. Seulement, c’est au détour des années 1990 que l’on a observé un certain recul en terme de compétence technique et de respect des normes dans le secteur. Dans son article « Les sociétés de construction hydraulique au bord de la faillite », le journal serbe Politika met en cause la prédominance des investisseurs étrangers sur les investissements de l’Etat, de moins en moins importants. Durant les deux dernières années, en Serbie, les moyens alloués au traitement des eaux auraient été détournés de manière conséquente.
La privatisation de l’entretien de ces structures a depuis comme objectif une plus grande rentabilité, sans pour autant viser la salubrité. Résultat : les dégâts causés par les intempéries de mai auraient pu être largement réduits. La « main invisible » libérale aurait donc emporté avec elle l’organisation et l’autonomie étatique en matière de sécurité publique. Privatisations, luttes de pouvoir entre les partis politiques, corruption ou encore détournement de fonds seraient à l’origine de l’appauvrissement technique et financier de ces sociétés de construction depuis la transition économique des années 1990.
Une crise économique et des déficits budgétaires aggravés par les inondations
Cette mauvaise gérance par les gouvernements balkaniques additionnée aux conditions météorologiques déplorables génèrent par ailleurs un cercle vicieux. Au début du mois de juin, le Premier ministre serbe Aleksandar Vucic a estimé le coût des dommages à un milliard d’euros. Seulement, ces premières évaluations ne prennent en compte que la facture liée aux destructions directes. Comme le souligne Vincent Viguié, économiste au Centre National de Recherche sur l’Environnement et le Développement dans un article du Figaro : « Il faut ajouter les pertes économiques à long terme. En général, elles sont aussi importantes que les pertes de destructions matérielles ».
Les poumons économiques, agricoles ou énergétiques ont été gravement touchés : l’OCDE a estimé que l’impact dans ces secteurs pourrait atteindre jusqu'à 3% du PIB serbe et bosniaque. Dans la période de crise économique que nous connaissons, ces pays pourraient bien avoir beaucoup de mal à se remettre correctement sur pied.
Les Balkans : un problème loin d'être résolu
Le risque est d’autant plus grand que les pays de l’Est sont susceptibles de faire face à un défi encore plus important dans les prochaines décennies. Une étude publiée dans la revue Nature Climate Change souligne que le coût des inondations en Europe pourrait atteindre vingt-trois milliards d’euros par an vers 2050 (soit le double des coûts des inondations de 2013 et de cette année ). Les raisons ? D’une part à cause d’un changement climatique qui va augmenter le risque et la fréquence de catastrophes comme celle de mai, et d’autre part en raison d’un développement économique « bancal » qui augmenterait dans les années à venir le nombre et la valeur des biens à risque. Des rapporteurs du Centre pour le Journalisme d’Investigation (CIN) de Sarajevo ont conclu que dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine (une des deux entités du pays), sur les six millions de KM (marks convertibles) prévus dans le budget pour répondre aux catastrophes naturelles, seuls six cent mille auraient été en effet utilisés pour celle de mai 2014. Le restant semble avoir été dépensé ailleurs comme au paiement des factures en retard selon le Courrier des Balkans.
Un tel manque de contrôle et d'organisation du secteur public sanitaire expose alors les victimes à des risques d'épidémies ou encore à des mines antipersonnel datant de la guerre, déterrées par les glissements de terrains. Faut-il alors attendre que ces pays exposés à des crises économiques et sanitaires soient de nouveau les victimes d’autres tragédies de ce genre pour intervenir ?